Du 29 au 31 juillet, Natural Justice et ses partenaires (LERPDES, ASAPAC-BF, Natudev, Mboro SOS, ANAPAC-SN, APKM, Collectif Taxawu Cayar et le RAPEN) ont été chaleureusement accueillis par les autorités locales, l’association KABEKA et les membres de Kawawana à Mangagoulack. Cette rencontre avait pour objectif de créer un espace d’apprentissages, d’identifier des leviers d’actions adaptés à chaque contexte local, et de renforcer la coopération régionale en faveur d’une gestion plus équitable et durable des ressources naturelles.
Située aux alentours dans la commune de Mangagoulack, dans la région de Ziguinchor, l’Aire et territoire du Patrimoine Autochtone Communautaire (APAC) de Kawawana est reconnue pour la richesse de ses ressources naturelles. Kawawana tire son nom de l’expression djola « Kapooye Wafolal Wata Nanang », qui signifie : « Notre patrimoine que nous voulons tous ensemble protéger ». Elle abrite une biodiversité remarquable et des écosystèmes variés, comprenant des forêts, des zones humides et d’importantes ressources halieutiques. Ce patrimoine est un site d’intérêt majeur pour la conservation et le développement durable. Mise en place et gérée par la communauté locale, l’APAC de Kawawana joue un rôle essentiel dans l’économie et la fourniture de moyens de subsistance aux communautés locales. Elle constitue un modèle de conservation durable des ressources et des écosystèmes.

Les trois jours d’échanges et de partage d’expériences à Mangagoulack ont été ponctués par des moments forts : des panels sur les stratégies communautaires de sécurisation foncière et l’accaparement des terres à grande échelle et une visite de terrain (parc ostréicole et poste de police).
Lors du premier panel, les intervenants ont souligné l’importance de développer des stratégies foncières fondées sur des approches locales et participatives, afin de garantir aux communautés rurales un accès équitable et durable aux terres, dans le respect de leurs droits et de leurs besoins spécifiques. L’atteinte de cet objectif suppose une collaboration étroite et constructive entre l’État et les communautés gardiennes des APAC. Cette collaboration doit favoriser la documentation, la reconnaissance et la valorisation des savoirs traditionnels et endogènes, essentiels à la préservation durable des écosystèmes.
La visite de terrain, quant à elle, a permis de découvrir l’histoire de l’APAC de Kawawana, considérée comme une référence, et de mieux s’approprier les défis auxquels la communauté est confrontée pour préserver et conserver son patrimoine environnemental et culturel. Les échanges ont mis en exergue la richesse de la gestion communautaire, la résilience locale et le rôle déterminant des femmes dans la conservation. Ces dernières sont particulièrement impliquées dans la cueillette des huîtres, une activité qui génère à leur profit des revenus assez important. Cependant, la visite a permis aussi de noter que l’exploitation des ressources naturelles par les communautés locales reste confrontée à un déficit de moyens logistiques limitant le développement de la filière ostréicole.
Saisissant l’opportunité de la visite d’échanges, les communautés gardiennes de Kawawana ont réaffirmé leur message en direction de la reconnaissance juridique de leur APAC.

Le dernier panel, consacré à l’accaparement des terres à grande échelle, a rappelé que la sécurisation foncière est une condition essentielle pour garantir la survie des territoires de vie comme les APAC. Les participants ont noté que si les accords internationaux affirment l’existence des APAC, leur portée reste limitée tant que leurs principes ne sont pas intégrés dans les législations nationales.,
La question de l’accaparement des terres à grande échelle est aujourd’hui une réalité dans une grande partie du pays. A l’entame, les panélistes ont mis en exergue l’avancée de front minier, l’installation dans les Niayes et en Casamance de grandes exploitations agricoles, l’affectation des grands domaines à des promoteurs immobiliers, les actes de classement ou déclassement tout azimut.
L’accaparement est accompagné souvent d’opérations d’expropriation au préjudice des communautés locales qui ne détiennent que des droits coutumiers sur leurs terres. Ces droits ne sont malheureusement pas reconnus comme droits de propriété par la loi n° 64-46 du17 juin1964 Cette situation limite considérablement les capacités des communautés à agir et à ester en justice en cas d’expropriation pour cause d’utilité publique.
L’autre problème souligné est aussi relatif au fait que pour le cas spécifique des zones minières, les droits des communautés ne sont jamais respectés surtout en ce qui concerne les indemnisations et la remise en état des sites désaffectés après extraction des minerais.
Ainsi, de vastes étendues de terres qui assuraient jadis l’agriculture de subsistance et le pastoralisme transhumant sont désormais perdues à jamais. Les communautés se voient repoussées vers des terres étroites et peu productives, ce qui accentue leur vulnérabilité. Ces situations deviennent fréquemment des sources de conflits, les communautés se disputant les rares espaces restants.
“Les tensions entre les communautés locales autour des droits d’usage et de propriété des terres freinent la mise en œuvre de plans de gestion concertés et nuisent à la stabilité sociale. Dans ce contexte, la communication et l’accès à l’information apparaissent comme des leviers essentiels pour renforcer la cohésion sociale” a déclaré Dieynaba Diatta, membre de Kawawana.
Ces échanges ont permis de souligner que :
- L’accaparement des terres à grande échelle se fait au détriment des droits fonciers coutumiers des communautés locales ;
- Les expropriations pour cause d’utilité publique invoquées par les administrations ne se matérialisent pas souvent pas par des indemnisations compensatrices des pertes de revenus subies. De plus, les emplois souvent promis par les promoteurs agricoles ne sont pas respectés.
Ces trois jours riches en expériences et découvertes ont incontestablement permis à Natural Justice et ses partenaires de renforcer la collaboration et la mutualisation en matière de gestion durable des ressources naturelles.
« Notre participation à cette visite d’échanges et de partage d’expériences revêt une importance toute particulière, car le Sénégal et le Burkina Faso partagent des réalités environnementales similaires et sont confrontés à des défis communs en matière de gestion des ressources naturelles et de lutte contre les effets du changement climatique. Ce cadre d’échanges constitue une opportunité précieuse pour renforcer les capacités des communautés du Burkina Faso et soutenir leurs efforts en matière de résilience, de gouvernance locale et de protection de l’environnement », a déclaré Eugène Bamouni, de Natudev (Burkina Faso).
Recommandations et prochaines étapes de la visite d’échanges
À l’issue de ces trois jours riches en échanges et en partage d’expériences, les participants ont formulé les recommandations et défini les prochaines étapes :
- Assurer le suivi du processus de reconnaissance juridique dans les textes nationaux des APAC notamment dans le projet de loi sur la biodiversité conformément aux dispositions du projet de loi sur la biodiversité ;
- Organiser de nouvelles visites d’échanges en diversifiant et en élargissant les thématiques abordées ;
- Produire et publier une note de position sur l’accaparement des terres à grande échelle ;
- Mener des actions de plaidoyer sur la révision de la loi sur le domaine national;
- Promouvoir la collaboration et les partenariats entre les zones côtières afin de développer des projets communs de lutte contre la dégradation des écosystèmes.