Pour les communautés locales du Sénégal, le slogan de la journée internationale de la biodiversité 2021 ne pourrait pas être mieux choisi : “nous faisons partie de la solution”. Selon la Convention sur la Diversité Biologique, le slogan a été choisi pour rappeler que la biodiversité reste la réponse à plusieurs enjeux du développement durable, surtout dans cette période de reconstruction après la pandémie COVID-19. Et de fait, les communautés locales dépendent de la biodiversité dans leurs territoires pour faire face aux défis, que ce soit le changement climatique ou les restrictions au cours de la pandémie. La nature est source de sécurité alimentaire, de moyens de subsistance durables, de santé, de bien-être et d’identité culturelle.
Et cette dépendance est mutuelle : les communautés locales ont historiquement été gardiennes et gestionnaires des ressources naturelles sur leurs territoires. Elles disposent de règles locales, de savoirs traditionnels, et de méthodes de conservation coutumières. Quand ces éléments contribuent à la conservation de la nature, ils protègent ce qu’on appelle aujourd’hui les APACs : les Aires et territoires du Patrimoine Autochtone et/ou Communautaire. Ces aires, que d’autres dénomment aussi « territoires de vie », sont des aires gouvernées de manière autonome par les communautés locales. On les trouve dans le monde entier, et au Sénégal on a recensé des exemples divers dans les milieux terrestres, marins et fluviaux.
Un exemple phare au Sénégal se situe dans la commune de Mangagoulack, en Casamance. Il y a dix ans, une association de pêcheurs de huit villages de la communauté rurale ont désigné et mis en marche cette APAC couvrant près de 10 000 hectares de terre et d’eau dans leur écosystème de mangrove de rivière. Ils décidèrent d’appeler leur APAC Kawawana – une abréviation Djola pour la phrase « notre patrimoine ancestral que nous souhaitons tous conserver ». Aujourd’hui Kawawana est une référence au pays : la communauté a obtenu la reconnaissance de l’APAC par le Conseil régional et le Gouverneur de Ziguinchor. Actuellement elle s’appuie sur ses expériences pour soutenir d’autres APACs sur le territoire et encourager les collectivités territoriales à les reconnaître.
Les APACs ont le potentiel de contribuer de manière significative à la conservation de la biodiversité au Sénégal – d’ailleurs elles le font déjà. Mais elles ont besoin de reconnaissance juridique et d’appui. Beaucoup d’APACs sont menacées aujourd’hui par la surexploitation des ressources naturelles, et comme elles n’ont pas de statut juridique, les communautés n’ont pas toujours l’autorité ou les moyens de faire respecter leurs règles de gestion. La reconnaissance par les collectivités territoriales, comme dans le cas de Kawawana, n’est pas toujours suffisante pour les sécuriser. Les communautés gardiennes d’APACs, rassemblées depuis Novembre 2019 dans l’Association Nationale des APACs (ANAPAC), voudraient donc que les APACs soient reconnues dans la loi Sénégalaise. Mais cette reconnaissance doit se faire de manière appropriée. En effet, ce sont les systèmes de gouvernance propres des communautés qui ont su maintenir les APACs à travers le temps, car ils sont flexibles et adaptés au contexte. Il est indispensable que les communautés gardent cette autonomie et qu’elles puissent maintenir et renforcer leurs propres institutions, règles et valeurs.
Dans ce sens, l’ANAPAC et son partenaire Natural Justice se réjouissent que l’État Sénégalais aie décidé de se doter d’une loi sur la biodiversité et les aires protégées. Nous demandons que les communautés locales, surtout celles gardiennes d’APACs, soient associées au plus près au développement de cette loi et de ses textes d’application. Un cadre flexible, qui reconnaitrait les APACs sans entraver leur autonomie de gouvernance, permettrait véritablement aux communautés de « faire partie de la solution » pour la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité Sénégalaise pour les générations futures.
Comme le rappelle M. Magatte DIAW, Président de l’ANAPAC, à l’occasion de cette journée internationale de la biodiversité : « Il est indispensable de créer une dynamique internationale en faveur de la biodiversité avec une prise de conscience et une mobilisation citoyenne générale, et les APACs seront au cœur de cela. La biodiversité, y-compris les APACs, doivent s’inscrire dans les stratégies nationales et mondiales au même titre que le climat. »